Canal+, BeIN Sports, Mediapro : la « course à l’armement » en droits de diffusion du football

Par Lucas Launay

« Le football est devenu une industrie mondiale du spectacle ». C’est du moins ce que Didier Quillot, directeur général de la LFP (Ligue de Football Professionnelle) avançait en juin 2018 pour justifier la vente d’une partie des droits de diffusion du championnat français au groupe espagnol Mediapro. Leur valeur atteignait ainsi un montant record de 1,1 milliard d’euro par an pour la période 2020-2024, une hausse de 60% au regard de la période précédente 2016-2020 lorsque ces droits étaient détenus par Canal+.

A l’heure où les acteurs traditionnels de diffusion se livrent une lutte acharnée pour acquérir les droits de retransmissions sportives, le football représente à lui seul 80%3) du montant global des droits sportifs en France. Ce marché est pourtant gouverné par le risque : on ne sait jamais avec certitude si l’investissement dans les droits du football sera rentable. L’augmentation spectaculaire du prix des droits de retransmission, loin d’être une spécificité française, pose logiquement la question de la rationalité de cet investissement pour les chaînes de télévision acheteuses, d’autant plus qu’elles sont déjà menacées dans leurs business models par les acteurs du numérique.

Quelle est la stratégie derrière cette fièvre à l’acquisition des droits du football ?

La diffusion du football en France, un marché fortement concurrentiel

Pour appréhender l’inflation sur le marché des droits du football, il faut d’abord comprendre que les droits du football sont souvent essentiels au modèle économique de ses diffuseurs. En 2018, le cabinet Oddo BHF Media estime ainsi que 40% des 4,9 millions d’abonnés à Canal+ France le sont pour le football (soit deux millions d’abonnés). Pour les chaînes spécialisées dans le sport comme BeIN ou RMC, la diffusion du football est encore plus importante si elles souhaitent conserver un portefeuille d’abonnés suffisant pour viser la rentabilité. Les droits de diffusion du football constituent ainsi un produit « non-substituable » car aucun contenu ne génère autant d’engagement auprès des chaînes et « excluable » car en achetant de tels droits la stratégie d’une chaîne est autant d’améliorer sa proposition commerciale que d’éteindre celle de ses concurrents.

Par ailleurs, la concurrence entre chaînes – qui est le moteur principal de l’inflation des droits – s’est accrue au fil des ans à mesure que les ligues et fédérations qui détiennent le monopole de commercialisation des droits du football (Ligue 1 pour la LFP, Ligue des Champions pour l’UEFA) ont organisé la vente en un processus d’enchères de plus en plus sophistiqué afin d’en faire gonfler les prix. Tout cela ressemble à s’y méprendre à une bulle spéculative :